May-Brit Moser, Edvard Moser, John O’Keefe,

Mapping your every move

Edvard Moser, May-Brit Moser, et John O’Keefe,

Prix Nobel de médecine et physiologie 2014

« Le système de surveillance le plus avancé qui existe se trouve dans notre cerveau, nourri par l’évolution. Il est équipé d’un système de codage qui stocke des cartes de tous les événements de notre vie en haute définition. L’évolution des outils de recherche et des connaissances permettent de comprendre peu à peu ce système de codage et ses principes mathématiques intrinsèques. »

Edvard Moser, May-Brit Moser, (avec John O’Keefe, Prix Nobel de médecine et physiologie 2014) Cerebrum. 2014 Mar-Apr; 2014: 4.  Published online Mar 1, 2014. (Traduction et adaptation B. Journe)

En 2005, les auteurs ont découvert les « cellules-grille » (grid cells), des neurones situés dans une zone profonde du cerveau qui calculent la localisation et la navigation de l’individu. Depuis, ils ont recherché comment les cellules-grille (grid cells) communiquent avec d’autres types de neurones-lieu (place cells), les cellules frontières (border cells) et les cellules de la direction de la tête (head direction cells) pour donner la conscience spatiale, les relations avec la mémoire et la prise de décision. Le système de navigation des cellules grille est situé dans le cortex entorhinal, (situé entre les zones olfactives et l’hippocampe, zone de centralisation et de coordination des structures cérébrales supérieures). Cette région est lésée dès les premiers stades de la maladie d’Alzheimer. Les recherches à venir doivent expliquer comment les capacités cognitives et les mémoires se détériorent. Ces données ont une immense importance pour envisager le traitement de la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles neurologiques.

Le système de surveillance le plus avancé qui existe se trouve dans notre cerveau, nourri par l’évolution. Il est équipé d’un système de codage qui stocke des cartes de tous les événements de notre vie en haute définition. L’évolution des outils de recherche et des connaissances permettent de comprendre peu à peu ce système de codage et ses principes mathématiques intrinsèques.

Depuis longtemps on a compris que différents types de neurones jouent des rôles différents dans le cerveau, ces dernières décennies les scientifiques ont accès à des imageries et des outils de mesure qui permettent de voir comment les différents neurones réagissent lorsque le cerveau effectue diverses tâches. Nous avons centré nos recherches sur la façon dont le cerveau permet de naviguer dans l’environnement, sujet par lui-même intéressant, tout particulièrement, parce que la navigation, trouver son chemin, est lié à la façon dont sont stockés les souvenirs.

Nous savons maintenant que ce système de codage fonctionne comme un contrôleur de trafic de aérien, il surveille chaque déplacement, connait toutes les étapes, maintient des liens avec tous les événements et expériences rencontrées. Fondamentalement, pendant que votre cerveau fabrique des cartes mentales pour vous permettre de naviguer dans l’environnement, il superpose aussi les mémoires, les expériences et les parfums sur ces mêmes cartes.

 De la Cartographie aux Mémoires

Cette capacité du cerveau à superposer des souvenirs crée une carte-cognitive, davantage qu’une cartographie : une sauvegarde multicouche de souvenirs. Comprendre comment le cerveau calcule la navigation est une étape pour établir les réseaux construits dans le cortex cérébral, la partie responsable des processus d’imagination, de raisonnement et de planification des pensées qui font les caractéristiques humaines.

Mieux comprendre les réseaux du cortex cérébral et des structures profondes devrait permettre d’agir sur des maladies mentales et neurologiques de millions de personnes. Les conséquences économiques seraient très importantes. Une étude donne autour de 35% l’incidence des maladies du cerveau en Europe (1). Une autre étude estime le coût du traitement de ces maladies en 2010 à 1,09 milliard de Dollars (2). Sur ces aspects économiques, le gouvernement Obama a donné la priorité au financement de la recherche fondamentale en neuroscience en créant des instituts nationaux de recherche sur la santé du cerveau et des initiatives des technologies innovante (National Institutes of Health’s Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies BRAIN).

Ceci souligne l’importance d’étudier le fonctionnement détaillé du cerveau à la fois pour la prévention et le traitement des troubles de la mémoire. Concentrer les études sur le fonctionnement du système spatial de navigation des mammifères est essentiel. Nous faisons de la recherche fondamentale en examinant en même temps la physiologie et la pathologie, comment il fonctionne et comment le système s’effondre lors des démences comme la maladie d’Alzheimer. Chaque nouvelle pièce de connaissance que les chercheurs recueillent contribue à rassembler le puzzle des énigmes du cerveau, nous commençons à voir une image plus précise.

Coder l’expérience sur une carte

Depuis longtemps, les psychologues ont étudié comment les animaux se déplacent et se relient à l’espace pour comprendre plus largement les règles qui gouvernent comment et pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Initialement, la plupart des chercheurs pensaient que le comportement était simplement une question de stimuli déclenchant des réponses. En 1948, Edward C. Tolman, psychologue cognitif, a démontré expérimentalement une nouvelle façon de voir les comportements. Tolman a montré que les cerveaux de l’homme et des animaux ont une sorte de carte de leur environnement spatial, et qu’ils codent leurs expériences sur le dessus de cette carte (3). Cette idée conduit à l’introduction de la carte cognitive.

Les idées de Tolman ont été discutées, jusqu’en 1971, quand John O’Keefe et John Dostrovsky ont découvert les ‘’Place cells’’ (cellules de lieu) (4). Ces cellules s’activent quand l’animal est dans un endroit spécifique. Les Place-cells sont situées dans l’hippocampe, une structure bilatérale, profonde et centrale. Expérimentalement, ces cellules sont activées chaque fois que le rat est dans un endroit particulier de son environnement. Ceci a montré qu’il y a dans le cerveau quelque chose qui ressemble à une carte. Les humains et les animaux produisent des cartes mentales davantage que simplement relier des repères dans l’espace.

En 1978, Lynn O’Keefe et Nadel ont fait avancer la question d’un grand pas en proposant que les ‘’cellules place’’ apportent une connaissance de position à l’animal par une représentation dynamique continuellement mise à jour (5). Tolman semblait avoir raison !

La découverte des Cellules-grille (Grid Cells)

Les découvertes des années 1970 ont fourni aux scientifiques plus d’indices sur ce qu’il y avait à chercher et où le trouver. Ils ont regardé et trouvé, une clé : les cellules de ‘’direction de tête’’ (head direction cells), des neurones qui s’activent lorsque les animaux font face à une direction, quelle que soit la position de l’animal. (6,7)

En 2005, notre laboratoire a découvert un autre type de cellule, appelée cellules de la grille (grid cell), situées dans le cortex entorhinal, juste à côté de l’hippocampe (8). Comme le nom l’indique, les cellules de la grille forment un réseau, triangulaire, régulier, activé quand l’animal passe sur les endroits équidistants. La grille ressemble beaucoup au motif du support du jeu de dames chinois.

Trois ans plus tard, notre laboratoire, et un autre en même temps, ont signalé l’existence d’un autre type de cellule, appelée ‘’cellule de frontière’’ (border cell), des neurones qui se déclenchent quand l’animal est près de la frontière de son environnement, comme un mur ou un rebord (9,10).

La synthèse de ces résultats montre que les réactions des neurones sont associées au monde extérieur. Il est encore difficile de repérer les liens entre les pensées complexes et leurs origines sensorielles. Lorsque l’information est combinée avec les systèmes sensoriels, les signaux d’activation des neurones impliqués sont trop diffus pour détecter les objets et les relations de ce qui se passe avec le monde extérieur.

 L’héritage de HM

Nous savons que l’hippocampe est essentiel dans la constitution des mémoires par l’expérience malheureuse d’un patient américain connu comme HM. En 1953, pour traiter sa grave épilepsie on lui a retiré une grande partie de l’hippocampe. La chirurgie a réduit les crises d’épilepsie, mais avec comme séquelle ne plus permettre la constitution de nouveaux souvenirs.

HM n’est pas le seul patient dont l’expérience a éclairé le fonctionnement de la mémoire. Beaucoup d’autres blessures de l’hippocampe ont permis de souligner le lien entre cette partie du cerveau et la formation de la mémoire. Nous savons que les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer apparaissent avec la perte des cellules du cortex entorhinal.

Les lésions dans ces régions du cerveau, provoquent la perte de la capacité de trouver son chemin et de se souvenir, ces déficits portent sur tous les types de mémoires. La mémoire est reliée profondément et physiquement à la perception et à l’encodage de l’espace.

Nouvelles technologies

Jeunes chercheurs, nous voulions comprendre la neurobiologie des comportements et des fonctions psychologiques complexes. Ces questions nécessiteront de nombreuses vies pour trouver des réponses. En se concentrant sur un but plus accessible : comment l’espace est représenté dans le cerveau, nous pouvions commencer à expliquer comment le cerveau calcule et comment les stimuli externes des sens entrent dans le cortex sensoriel primaire.

Pour trouver ces cellules il faut utiliser des microélectrodes plus fines qu’un cheveu, les placer correctement à proximité des neurones individualisés dans le cerveau des rats pour enregistrer leur activation.

Le cerveau d’un rat est de la taille d’un grain de raisin, il contient 200 millions de neurones, chacun en contact direct avec 10000 autres. De chaque côté de ce grain de raisin (dans chaque hémisphère) se trouvent des zones plus petites qu’un pépin de raisin, l’hippocampe, où réside la mémoire et le sens de la localisation. C’est là que l’on trouve les neurones-lieux (Place cells) qui répondent aux lieux spécifiques. A partir de quelles cellules, ces neurones de lieu obtiennent des informations ? La solution consiste à chercher « en amont » de l’hippocampe, dans le cortex entorhinal, qui alimente les informations de l’hippocampe.

Ecouter l’intérieur des neurones

Des microélectrodes permettent d’écouter l’activité électrique des cellules à l’intérieur du cortex entorhinal. Nous avons fait progresser cette technique pour parvenir à écouter plusieurs centaines de neurones du cortex entorhinal d’un rat. L’écoute de ces neurones a permis de découvrir que cette région du cerveau contient un certain nombre de modules dédiés à la localisation (11). Chaque module contient son système de GPS interne et sa cartographie qui permet de suivre le mouvement, d’autres caractéristiques le distingue des autres modules.

Les différents modules réagissent différemment aux changements de l’environnement. Certains adaptent la carte interne du cerveau à l’environnement de l’animal, d’autres ne le font pas. Les modules fonctionnent indépendamment de plusieurs manières. Le cerveau peut utiliser cette indépendance pour créer de nouvelles combinaisons, outil très utile pour la formation de la mémoire.

Ce résultat permet de supposer que la capacité à fabriquer une carte mentale de l’environnement est apparue très tôt dans l’évolution. Toutes les espèces qui se déplacent ont besoin d’un système de navigation, ce type de mémoire doit être le premier à s’être développé pour donner le sens de la localisation.

Les cellules-grille (grid cells) de chacun des modules du cerveau envoient des signaux aux neurones-place (place cells) de l’hippocampe. L’effet combiné de l’activité des cellules-grilles crée un champ d’activité dans l’hippocampe, le champ-lieu (place field). Ce signale est l’étape suivante dans la progression des signaux dans le cerveau. Quand l’environnement change, les différents modules de la grille réagissent différemment en s’activant lors de la nouvelle position, la sommation linéaire active les différents neurones-places de l’hippocampe.

En pratique, cela signifie que les neurones-grille (grid cells) envoient différents codes combinés dans l’hippocampe, en réponse aux moindres variations de l’environnement. Les moindres changements entraînent de nouvelles combinaisons de cellules activées, des ensembles de cellules qui peuvent être utilisés pour coder une nouvelle mémoire, qui avec le signal environnemental, devient ce que nous appelons des souvenirs.

 Les neurones parlent

Les récents progrès des technologies ont apporté des perspectives dont nous pouvions à peine rêver il y a quelques années. L’une est la capacité à créer des cartes fonctionnelles détaillées qui montrent quels neurones se parlent. Nous sommes particulièrement intéressés par la façon dont les neurones de la grille (grid cells) et les neurones de lieu (place cells) communiquent. La réponse à cette question nous permettra de comprendre comment les parties les plus profondes du cerveau sont connectées.

Lorsque les neurones s’envoient des signaux, ils partagent des similitudes avec les câbles électriques. Ils envoient un courant électrique dans une direction à partir du « corps » du neurone vers un long bras, appelé axone, qui s’étend jusqu’aux bras ramifiés ou dendrites de la cellule nerveuse suivante sur la ligne. Les cellules du cerveau reçoivent ainsi de petits signaux électriques de toute une série de ces connexions.

Une technique récente dans notre laboratoire utilise un virus hautement modifié adéno-associé (AAV) comme système de transport biologique à l’intérieur des neurones afin de comprendre quels neurones parlent aux cellules-place dans l’hippocampe. Le virus est ‘’d’’ modifié pour qu’il puisse entrer dans les neurones spécifiques et voyager vers l’amont des axones et des dendrites. Nous attachons un gène sensible à la lumière à ce système de transport viral. Ce gène s’intègre à l’ADN du neurone et le rend sensible à la lumière. Bien sûr, le neurone est niché au plus profond du cerveau, dans l’obscurité, ce processus permet d’installer l’équivalent d’un interrupteur lumière dans un réseau neuronal.

Nous avons utilisé cette technique pour insérer les interrupteurs d’éclairage dans les cellules de lieu (place cells). Puis nous avons inséré des fibres optiques dans le cerveau d’un rat, ce qui permet de transmettre de la lumière sur ces neurones. Nous avons aussi implanté des microélectrodes entre les cellules afin de détecter les signaux émis par les axones quand la lumière de la fibre optique a été activée. Cela nous permet de voir exactement comment est câblée la communication de cellule à cellule et de cartographier les petits et grands réseaux au sein du système de calcul de navigation cérébral.

 Des mystères demeurent

Lorsque nous avons rassemblé toutes ces informations, nous avons vu qu’il y a toute une série de cellules spécialisées différemment qui ensemble informent les cellules de lieu (12). Le GPS du cerveau, son sens d’orientation (place), est créé par des signaux à partir des cellules-lieu (place cells) vers les cellules de la direction de la tête (head direction cells), des cellules de la frontière (border cells), des cellules de la grille (grid cells), et de cellules dont la fonction n’est pas connue dans la création de points de localisation. Les cellules de place non seulement reçoivent des informations sur l’environnement et les repères du rat, et de plus mettent à jour en permanence leur propre mouvement, une activité en fait indépendante de l’entrée (l’information) sensorielle.

Nous avons été surpris de découvrir que des cellules qui n’ont pas de rôle dans les sens de localisation envoient des signaux vers les ‘’neurones lieu’’. Jusqu’à présent, les neurones spécifiques impliqués dans la navigation, neurones lieu, cellules de direction de la tête et les cellules, ont toutes des emplois spécifiques. Quel est le rôle des cellules qui ne font pas réellement partie du sens de l’orientation ? Ils envoient des signaux aux cellules de lieu, mais qu’est-ce qu’ils font réellement ? Cela reste un mystère.

Nous posons aussi la question, comment les cellules de l’hippocampe sont en mesure de trier les différents signaux qu’ils reçoivent ? Est-ce qu’ils ‘’écoutent’’ toutes les cellules de manière effective tout le temps, ou certaines cellules mobilisent plus de temps que les autres pour ‘’parler’’ aux neurones de lieu (place cells) ?

Les Cellules d’accélération et la prise de décision

Nous oublions, quand nous nous déplaçons sans effort de la maison au travail, du travail au supermarché puis la maison, l’immense quantité de calculs et d’étapes qui donnent cette capacité à naviguer. Nous travaillons maintenant sur les différents aspects du système de navigation cérébral pour mieux comprendre comment toutes ces pièces s’emboîtent.

En ce moment nous étudions ce que nous avons surnommé ‘’cellules d’accélération’’ (speed cells), des cellules qui réagissent exclusivement à la vitesse du mouvement de l’animal, et à la façon dont ces facteurs cellulaires entrent dans l’équation de navigation.

Nous travaillons aussi sur les prises de décisions. Quand un animal se déplace dans un labyrinthe, il doit choisir où aller et quel est le prochain virage à prendre. Les neurones impliqués dans la prise de décision se trouvent dans le cortex préfrontal, qui est connecté à l’hippocampe par un petit noyau du thalamus.

Lentement mais sûrement, nous et d’autres chercheurs, élargissons notre compréhension à d’autres régions du cerveau pour nous représenter comment ils sont reliés. Parce que tout est connecté, nous avons l’espoir de produire des cartes de plus en plus détaillées des réseaux de neurones, nous avançons pour trouver des indices qui aideront à prévenir et guérir les maladies du cerveau à l’avenir.