Le plus beau fleuron de la discrimination  

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Méditation, de l’objet à l’absence d’objet !

Or, sois attentif à ce corps subtil !
Le Soi est au dedans, le Soi est au dehors
Le Soi est par devant, le Soi est par derrière
Le Soi est au nord, le Soi est au sud
Le Soi est au-dessus, le Soi est au-dessous
Vague, flocon d’écume, tourbillon, bulle, vapeur
Tout cela n’est, en fin de compte, que de l’eau

« Le plus beau fleuron de la discrimination » est un enseignement de la non-dualité. La non- dualité entre ce qui est et ce qui n’est pas. Si pour les contemporains « Je pense donc je suis », la réponse est ici aux antipodes, nous ne sommes pas la pensée ! La pensée est conditionnée, elle est un élément de ce que nous sommes, nous allons apprendre de quoi nous sommes faits. Le Yoga est une pratique expérimentale, non pas pour dresser ou redresser mais pour apprendre, le corps est intelligent. La méditation fait connaissance des multiples états de la pensée et de l’être. Être n’est pas une pensée.

Méditer consiste ici à écouter (ou lire) ces lignes puis de les laisser résonner longuement. C’est la conscience qui attire vers la méditation. Ce n’est pas la conscience de ceci ou de cela, c’est la conscience d’être. Dans ce texte, cette Conscience se nomme ici Âtman. Discriminer la corde du serpent, la lumière des reflets et des réflecteurs. Discriminer les concepts, moi, je, égo, personne, esprit, mental, intelligence ou intellectualité… ce texte est précieux. Discriminer la matière de l’énergie, le mental de l’intelligence, à travers les gaines du corps subtil, conduit à la joie, joie non conditionnée. La joie (la félicité) est le moteur des roues de l’Univers.

Nous sommes faits de cinq gaines (ou enveloppes) qui constituent le corps subtil. La première est faite de matière (la nourriture). La deuxième est faite d’énergies (le soleil, le vent, la rotation des planètes). La troisième est faite d’actions, les organes d’action constituent le mental. La quatrième est faite des perceptions, les organes de perception font l’intelligence. La cinquième gaine est la joie, elle apparaît dans la beauté ou l’amour. Ces gaines sont des expressions de la Conscience.

Plus à l’intérieur de cette enveloppe, Il y a l’enveloppe de souffle.

Oui, l’enveloppe de souffle remplit l’enveloppe de nourriture.

Le soi de souffle remplit le soi de nourriture.

(Taittiriya Upanishad, interprétation pour le troisième millénaire)

La Conscience est Une, elle prend trois états, le sommeil profond, le rêve et l’éveil. Rêve et éveil sont des états illusoires (de la conscience), en relation avec des sens conditionnés et relatifs, le sommeil profond est un état d’absolu de la conscience. Discriminer, c’est observer ces états, c’est goûter à l’énergie permanente de la création des états, c’est à dire la joie.

« Le plus beau fleuron de la discrimination » enseigne les détails de la physiologie, des caractéristiques du corps, de la matière et des énergies. Il s’agit de la physiologie d’un corps à la fois physique, psychique, fait de matière et d’intelligence, de connu, d’inconnu et d’inconnaissable. C’est la méditation qui permet de distinguer le réel de l’illusoire. Discriminer ne consiste pas à analyser intellectuellement, la méditation donne de la place à l’intelligence, à la fois proche et distante. L’intelligence précède l’intellectualité.

Il s’agit de discriminer l’objet perçu, de la perception et de celui qui perçoit. Discriminer celui qui regarde de ce qui est vu. Les sens sont eux-mêmes des objets de contemplation. Discriminer le spectateur du spectacle, titre d’un autre manuel d’enseignement de la même époque.

« Le plus beau fleuron de la discrimination », a été publié en 1946, traduit du sanscrit vers l’anglais par Swami Nikhilânanda, de l’anglais en français par Marcel Sauton. Il a été le support de la connaissance de l’Advaïta Vedanta, la non-dualité. Ces textes ont été attribués à Shankara, il paraît légitime de suivre l’éclairage de Michel Angot, d’admettre qu’ils ont été produits plus tardivement, au seizième siècle par des descendants de l’école de Shankara. Shankara ou Samkara ou Shankaracharya est un personnage à la fois historique et mythique. Il aurait vécu au huitième siècle, une époque où les dogmes prenaient le pas sur l’expérience première, c’est le moment du développement du Bouddhisme et du Jainisme. Convaincu de la place essentielle de l’expérience de première main (une expression de Jean Klein) Shankara devient ascète missionnaire pour établir dans toute l’Inde des lieux de confrontation entre les idées et l’expérience.

La Taittiriya Upanishad contient les mêmes concepts et le même enseignement. La Taittiriya Upanishad (Upanishad de la perdrix) est certainement un texte apparu avec les origines de l’écriture, issu des réflexions fondatrices des philosophies, des traditions orales qui ont précédé les écritures.

La formulation de ce « plus beau fleuron de la discrimination » est directe, souvent triviale. Cette forme d’enseignement peut rappeler celle de Nisagardatta Maharaj à Bombay. Elle est très loin de la forme utilisée par Jean Klein, apaisée et apaisante. L’expression de la Taittiriya Upanishad est poétique, musicale et précise. Celle de Wei Wu Wei est purement métaphysique. Elle rejoint celle de Maître Eckhart vers l’expérience d’un dieu toujours proche et présent. Ces enseignements vont au même endroit.

Les extraits que nous publions ici se sont appuyés sur la traduction de Marcel Sauton et aussi de celle en anglais de Chatterji Mohini (Chatterji Mohini M. Viveka Chudamani or Crest Jewel of Wisdom, Sri Sankaracharya; Theosophical publishing house, Adyar Madras 1932). Nous avons maintenu les majuscules qui consacrent l’Absolu, le Soi, la Conscience, Il, Lui, Cela…

Pour que la lecture soit claire, nous avons porté les termes sanscrits en notes de bas de page. Quelques mots persistent en sanscrit, ils recouvrent des sens multiples et complexes, le lecteur comprendra au fil de la lecture.

Par exemple, le concept de ‘’Prana’’ aborde les énergies de la nature, de la pesanteur au courant d’air, du souffle à l’éclosion d’une fleur. ‘’Prana’’ est l’énergie sous de multiples formes. Des années de pratique ascétiques sont indispensables pour réaliser les sens de prâna, apâna, vyâna, udâna et samâna !

Le mot Âtman est central. Âtman est l’âme, l’esprit, Soi. Âtman pourrait être aussi une divinité, Brahma (à d’autres époque), la divinité qui fait apparaître les autres. Âtman est la Conscience.

Mâyâ est au centre de cette philosophie, elle est l’illusion et l’ignorance. L’objet apparaît à des sens qui sont aussi des objets conditionnés par leur fonction, leur disponibilité, et l’observateur. L’objet comme le sens, est illusoire. De la philosophie on parvient à la métaphysique. Ce qui n’est pas illusoire, c’est l’observation de l’observation, l’écoute de l’écoute. Les sens, sans condition, sont ‘’émerveillement’’.

Les ‘’gunas’’ sont trois directions de la Nature, trois expressions de la Conscience. Les ‘’gunas’’ sont des fonctions de Mâyâ, il y en à trois : rajas, tamas et sattva, qui pourraient se traduire par ascendant, descendant et expansion. Rajasique, satvique et tamasique, (comme royal, spirituel ou terrien) sont les qualificatifs qui s’appliquent, aux nourritures, actions ou relations qui génèrent les propriétés de ses fonctions.

Le tamas et le tamasique correspondent à l’épaisseur de l’égo, illusoire, obscure système de protection, de défense et d’attaque de ce que la personne prend pour elle-même. Le plus beau fleuron nous explique, dans la logique des gaines, que l’intelligence (la gaine des perceptions) et si proche de la gaine de félicité, qu’elle s’attribue les bénéfices de la joie. ‘’Je suis heureux (heureuse) parce que j’aime X (ou Y)’’. L’égo n’a aucune capacité à aimer, il ne sait que défendre ce qu’il estime être ‘’son bien’’. Au tamas la lourdeur, la paresse, l’ignorance.

Rajas est énergie active, à lui le pouvoir de projeter. A lui l’identification à la possession et aux manques, les souffrances, jalousie, colère, arrogance, haine, l’égoïsme, l’envie.

Sattva est pureté, il a la transparence de l’eau vive, en contact avec le rajas ou le tamas, il concourt aux doutes et aux renaissances. La réalité de l’Âtman se reflète dans le sattva, c’est à la lumière de ce soleil intérieur que l’Univers, sous son aspect grossier, apparaît à nos regards. Les caractéristiques du sattva intermédiaire sont l’absence d’orgueil, la foi, la dévotion, le désir d’indépendance.

Le concept « sat-chit-ânanda » est une expression vaste de sens : Être—Conscience—Joie, ou : Réalité—Intelligence—Félicité. Objectif de la discrimination, « sat-chit-ânanda » réunit ce qui nous paraissait séparé.