Docteur Bruno Journe, médecin addictologue, Paris

La méditation ramène à un équilibre, l’équilibre de la santé. Le mouvement des yeux est un exercice d’une fonction clef du corps, les yeux reçoivent et projettent. Les yeux concernent le visage et l’ensemble du corps, le mouvement permet de passer des tensions à la détente, du passé au présent.

L’addiction est une réponse simple à une problématique complexe, trop souvent inaccessible, comment comprendre l’hyperphagie, comment comprendre les craving destructeurs ? Les addictions dans notre société sont fréquentes et souvent graves, en contradiction avec de prétendus progrès. Le mouvement des yeux et la méditation, sont des interventions thérapeutiques utiles, il est possible et simple de les introduire dans la consultation. Il s’agit de changements majeurs de paradigmes qui bouleversent les piliers consensuels de nos raisonnements sur la santé et la maladie psychique.

Les addictions sont des problématiques psychosomatiques, des liens perturbés entre une demande du corps et une réponse psychique. Les notions de schémas corporels et de schémas cognitifs doivent être revus. Ces liens entre le corps et son environnement sont mis en lumière par le Prix Nobel de médecine 2014. Le « GPS cérébral » est une structure neuronale où se font des liens entre les mémoires et la localisation. Nous connaissons désormais la structure qui dit ‘’Où je suis’’ ‘’Je’’ dans son sens fonctionnel, plus exactement ‘’Moi’’.

La thérapeutique des addictions doit aller visiter les nœuds entre psyché et corps. Nous apportons une réponse psychosomatique, une réponse à la fois confortable, rassurante et fiable. Associer une réelle attention clinique, une forme de méditation et un mouvement des yeux est une façon d’éclairer les problématiques addictives et d’amener à davantage de liberté et des schémas plus fonctionnels.

Expérience :

L’expérience relatée ici évoque vingt années d’activité clinique en addictologie, en médecine libérale. C’est aussi quarante années de recherche sur une solution aux problématiques anxieuses autrement que par des médicaments « anxiolytique ». Cette recherche était urgente, depuis les années 60, le marketing des benzodiazépines occupe toute la place dans le traitement des anxiétés, ces molécules ont une seule propriété : l’amnésie (elles sont aussi addictives et dépressiogénes). Cette réponse médicamenteuse a été un scotome face à la réalité des questions et des besoins, une absence de vraie réponse thérapeutique (hors les situations de psychose ou l’épilepsie). Le développement des addictions est un emballement de ces paradigmes d’anxiété et d’angoisse, d’une réponse par une substance à un manque psychique.

EMDR, le mouvement des yeux pour désensibiliser et reprogrammer,

Francine Shapiro a constaté en regardant voler des oiseaux dans un parc qu’elle oubliait des pensées envahissantes. Elle a eu l’intuition, puis démontré que le mouvement des yeux agissait par lui-même, que cet exercice produisait le même effet, mettre à distance des souvenirs douloureux. Ainsi est né l’EMDR[1] (Eye Movement for Desensibilisation and Reprocessing) en Californie dans les années 80, il est devenu un traitement du syndrome post traumatique. Pragmatisme américain, une technique en huit étapes, une cible diagnostique précise et des études qui mettent en évidence une grande efficacité. Cette démonstration d’efficacité est une première pour un traitement psychique[2][3].

La première explication donnée par le docteur Shapiro à l’EMDR repose sur la similitude avec les REM, les mouvements rapides des yeux qui surviennent lors des rêves. L’EMDR consiste à faire bouger rapidement les yeux du patient, ce mouvement entrainerait une réorganisation (reprocessing) des fonctions neuronales comme le rêve permet de revivre des situations, en ajoutant ici un objectif thérapeutique.

Dans le livre « EMDR as an Integrative Approach[4] » elle réunit les points de vue d’experts d’orientations différentes sur l’expérience de l’EMDR en 2002. La bibliographie en 2015, montre que l’intérêt pour l’EMDR est planétaire, les expériences et les explications sont riches et multiples[5][6].

L’EMDR est une thérapie structurée, fondée sur l’histoire traumatique du patient et de ses symptômes, des objectifs précis, qui vont être travaillés. C’est dans une position de détente, ‘’situation de sécurité’’ que se fait le mouvement des yeux commandés par le thérapeute, en contrôlant les réactions et la réponse du patient. Les séances durent plus d’une heure et sont renouvelées jusqu’à la disparition des manifestations douloureuses, (une moyenne de quatre à six séances, de ‘’désensibilisation-reprogrammation’’).

Le Mouvement des yeux,

Ce que nous appelons ‘’Mouvement des yeux’’ est une adaptation de l’EMDR aux besoins cliniques en médecine générale ou en addictologie. Le point de départ est simple, ajouter un mouvement des yeux à un exercice d’attention au corps. Cette ‘’mise en condition’’ est essentielle, elle s’apparente à une ‘’relaxation’’ mais n’en est surtout pas une, il s’agit davantage d’une méditation dirigée, un exercice qui consiste à passer de l’action (faire ou penser à faire) aux perceptions (l’intelligence du corps).

Ce ‘’Mouvement des yeux’’ se fait les yeux fermés. Il fait appel successivement aux perceptions et aux visualisations. Il fait émerger les schémas corporels et les schémas cognitifs. Le résultat est un décryptage des constructions psychiques, une aptitude à voir et modifier les schémas. Il faut évidemment poser les conditions de cette thérapie, la position attentive et bienveillante du thérapeute. C’est aussi une occasion de visiter ce que l’on a appelé le transfert qui devient ici la projection. L’attention au patient et à son histoire doit rester un centre indéfectible.

Dans les problématiques addictives et les symptômes psychosomatiques, il y a toujours un passé traumatique, le plus souvent dans la petite enfance, à un moment où responsabilité et culpabilité se confondent (le traumatisme est la punition d’une faute, la faute est la problématique de l’adulte, non de l’enfant, l’enfant est une énergie en construction). Dans cet accompagnement du patient, sortir des concepts culpabilisants est une immense étape. La motivation à soigner est à établir autant du coté du patient que du soignant.

Soigner,

Quand le patient consulte le médecin, son unique demande est de soulager son symptôme. Ici, thérapeute et patient prennent la même position. Pour donner toute l’attention aux symptômes, on ferme les yeux. Ensemble, on prend une position pour ‘’écouter’’ et ‘’regarder’’ le symptôme. Assez rapidement, de l’attention au symptôme, on passe à l’attention aux structures qui entourent, aux pressions du support sur les point d’appuis, aux consistances et au textures, puis aux perceptions de l’environnement (nous donnons plus loin des illustrations). On demande au patient ce qu’il ressent, ce qui se passe, on ‘’regarde avec lui’’. Sa réponse oriente pour aller plus loin, ou moins loin. Cette position permet d’envisager et d’éprouver un corps confortable, elle éloigne ce corps traumatisé, elle atténue et efface un moment la douleur et les besoins sans fin. Du symptôme on peut passer aux causes et à la réparation.

Voir, regarder, visualiser, montrer,

L’EMDR revient à bouger les yeux sans objet. Ce que nous en faisons (les yeux fermés), dans une grande attention à ‘’ce qui se passe’’ amène à distinguer ce qui est mis en jeu dans le fait de ‘’voir’’ ou ‘’regarder’’. Il faut se remémorer que la fabrication de l’image est un long et complexe processus chimique, neuronal et mémoriel. Quelques images par seconde donnent l’illusion d’un mouvement continu, ce qui est vu n’est pas la réalité. Dans ce temps ce sont plusieurs fonctions neuropsychologiques qui entrent en scène, il s’agit d’une succession rapide, ce n’est pas concomitant. Ces fonctions sont très conditionnées et accaparent beaucoup d’attention et d’énergie. C’est là que se trouvent les clefs de l’efficience de ces procédés thérapeutiques.

Voir,

L’œil est d’abord un organe sensible tactilement. Sensible pour se protéger et protéger le corps. L’œil physiologique est fait de muscles, pour focaliser, pour accommoder, pour orienter et pour synchroniser. L’œil anatomique est un globe, abrité dans une cavité profonde, protégé par des membranes transparentes, immergé dans un bain, recouvert quand nécessaire par la paupière.

Les yeux, au centre du visage, annexent les structures qui organisent le regard dans l’investigation et dans la défense, de la région frontale au dessus, aux muscles du cou dessous, à l’ensemble des axes ensuite. Les yeux contrôlent les déplacements du corps, le corps contrôle le déplacement des yeux.

Regarder,

Regarder, c’est interpréter et anticiper. Interpréter en fonction des codes appris des gestes et des signes, c’est identifier et nommer. Anticiper pour préparer les fonctions physiologiques à répondre aux exigences du lieu et du moment. Regarder se fait à travers des codes, ce sont les schémas cognitifs (ou cartes cognitives).

Regarder, met en œuvre tous les processus de reconnaissance et d’indentification. Regarder est lié aux mémoires. Regarder est une fonction à la fois intellectuelle (comprendre) et psychologique (interpréter).

C’est une synthèse des perceptions qui ‘’regarde’’. L’œil fait une repérage rapide, une ‘’reconnaissance’’. L’oreille assure la situation dans l’espace, une vigilance périphérique constante, les pieds renseignent sur la nature du sol (et la peau en contact avec les appuis). Il faut se souvenir que c’est en distinguant les sons directs et les échos que les oreilles définissent l’espace.

Montrer,

L’œil est autant récepteur qu’émetteur, éclairé et éclairant, défenseur que protecteur. L’œil agit en relation avec les organes de perception et les organes d’action. Le regard est central dans l’organisation des défenses du corps d’abord, dans l’organisation des défenses psychiques ensuite (‘’moi’’). Les schémas corporels et les schémas cognitifs se fabriquent et se vivent au prix d’énormes tensions.

Le regard montre les positions physiques et psychiques en faisant participer l’ensemble du corps à cette démonstration. Les tensions psychosomatiques sont dans le front et les mâchoires, dans la poitrine ou l’abdomen (le ventre). La plupart des céphalées (migraines et maux de tête), les cervicalgies et les lombalgies sont liées à ces tensions.

Le corps ‘’montre’’ à l’extérieur et à l’intérieur ; à l’intérieur, par des symptômes liés aux tensions neuro-végétatives, de l’ulcère de l’estomac aux manifestations vasculaires, cardiaques, respiratoires ou cutanées ; à l’extérieur, par les expressions du visage et du corps. D’autres données s’imposent dans le dialogue avec le corps, involontaires et changeantes, celle des traits du visage, des formes du corps et du genre. Entre ce que nous percevons de ces formes, ce qu’en perçoivent les autres et ce qu’ils en reflètent les interprétations sont nombreuses.

Quand on met en marche un ‘’regard intérieur’’, quand on sépare la mécanique visuelle de la vision[7] ces tensions perdent leurs substrats et leurs raisons d’être. Quand le regard devient en même temps plus attentif et sans tensions, davantage d’informations lui parviennent (il devient plus ‘’intelligent’’). Il s’agit de l’intelligence dans le sens de l’intuition, de l’aptitude à comprendre.

Les exercices de mouvement des yeux amènent à percevoir le masque que s’accapare l’égo sous forme des tensions du visage. Autour des yeux, au-dessus, sur les côtés, en arrière se trouvent des cavités osseuses, tout particulièrement les sinus. Les sinus frontaux et maxillaires sont vastes et respirent. Ces ‘’caisses de résonances’’ deviennent de larges récepteurs, des accessoires discrets de la vie de relation. Combien de messages véhiculés par l’air, sous forme de molécules autant que de vibrations.

Visualiser,

Visualiser, c’est anticiper, c’est acquérir des fonctions corporelles adaptées à l’action. Visualiser fait appel à toutes les fonctions sensorielles (pas seulement ni spécifiquement la vue). Visualiser est une fonction d’apprentissage, c’est la fabrication des liens entre les perceptions et l’action (fonctions sensorielles et motrices). La marche, l’alimentation et beaucoup d’autres fonctions fondamentales sont acquises par reproduction de schémas. L’enfant qui met en scène ses cubes, ses camions ou ses poupées associe ses mouvements et ses projets, il fabrique un schéma cognitif et corporel à lui, il s’individualise. Les apprentissages sont une série de répétitions qui équilibrent anticipations et actions. La lecture, l’écriture, sont des processus de visualisation. Les apparents automatismes sont liés à l’installation de connexions neuronales plus rapides. Les gestes ne sont apparemment plus pensés.

Ces ‘’automatismes’’ tiennent une grande place dans les addictions. Visualiser, processus d’apprentissage, est une fonction majeure dans la thérapeutique. Ralentir le mouvement, regarder ‘’en dedans’’, est une forme de méditation pour regarder le présent, le passé et projeter le futur. Revoir les moments de consommations, les moments qui précèdent, les gestes et les pensées qui préparent, les images et les souvenirs associés. Devenir conscient des projections (ici synonyme de visualisation) négatives et délétères, travailler sur des projections constructives et bénéfiques.

Méditer

Concept inconcevable il y a vingt ans, la méditation prend une place en médecine. C’est par le Bouddhisme Tibétain que les psychiatres ont rencontré la méditation. La diaspora tibétaine a ouvert des lieux de transmission d’une culture de la Conscience en Occident. Le rayonnement du Dallai Lama et de quelques Lamas est exemplaire. Il existe d’autres mouvements proposant la méditation, transcendantale, zen, chrétienne et bien d’autres. La ‘’Méditation de pleine conscience’’ est une interprétation de ‘’mindfulness’’, une méditation qui serait adaptée à une approche thérapeutique. ‘’Plénitude de l’esprit’’ serait une traduction plus adaptée. La ‘’méditation de pleine conscience’’ fait entendre que la conscience pourrait être plus ou moins vide et pleine. La conscience qui nous occupe est à la fois plénitude et vacuité.

Contrairement aux préjugés répandus, ce n’est pas par défaut que le Tibet ou l’Inde ont cultivé la méditation comme un rite[8]. Il ne s’agit pas d’archaïsmes, ce sont des choix éthiques, posés comme primordiaux. La méditation est issue d’une réflexion et d’une attention intense à la relation entre le subjectif et l’objectif. A partir de cette position se déroulent une philosophie, une sociologie et une économie. Le retour d’une position méditative dans la société occidentale est un événement remarquable et à suivre.

Le concept de méditation soulève l’opposition de modes de penser entre l’Occident et l’Orient. Dans ce contexte du traitement des addictions, la différence la plus certaine qui oppose la pensée gréco-romaine à la pensée orientale (si l’on accepte un axe général à ces modes de pensées) se trouve dans le ‘’faire’’ et ‘’l’avoir’’. L’Occident est convaincu que rien n’existe sans penser ou sans agir. L’Orient a constaté qu’Etre est une part de la Nature. La méditation ici prend le sens de contemplation.

La méditation ‘’sans objet’’ se rattache à la non-dualité, (l’advaita-vedanta popularisé par Shankara au XIIème ou célébré par Abhinavagupta au Cashmere au Xème, l’enseignement de Jean Klein[9], purement non duel était sans autre référence que l’instant). La conscience n’est concernée ni par le plein, ni par le vide ! Nos vides comme nos pleins sont des formes fluctuantes de nos perceptions, la conscience est constante. Lâcher prise ne consiste pas à lâcher quoi que ce soit, au contraire, c’est en prenant conscience des tensions que ledit ‘’lâcher prise’’ s’effectue.

Le GPS cérébral,

Le prix Nobel de médecine et physiologie 2014, est revenu à trois chercheurs en neuro-psycho-physiologie[10]. Cinquante années de travaux sont récompensées, l’indentification de neurones de lieu, de neurones de frontières, de neurones de position de la tête, et surtout, les liens de cette région du cortex cérébral avec les mémoires de toute la vie. L’hypothèse d’une organisation de la psyché en cartes géographiques date de 1950[11], elle est ici confirmée par la physiologie et l’anatomie. C’est l’essentiel de nos constructions au sujet de la psyché qui sont bouleversées.

Ces structures neuronales disent ‘’Où je suis’’. ‘’Je’’ en tant que schéma cognitif ou schéma corporel, il ne s’agit donc pas de ‘’Je’’ mais du sous-ensemble ‘’Moi’’. Le ‘’mouvement des yeux’’ explore ces lieux, la méditation les met à distance. Ce qui permet de distinguer ‘’Moi’’ (synonyme d’égo) comme une entité fonctionnelle, psychique, conditionnée par ces schémas et son histoire. Dès lors, ‘’Je’’ ne se trouve pas dans un schéma, ni dans aucune carte. ‘’Je’’ s’identifie aux cartes mais ne s’y trouve pas.

Ces ‘’cartes’’ sont visuelles, tactiles, olfactives, auditives, elles définissent la personne, dans le sens de ‘’persona’’, le masque, le ‘’moi’’ fonctionnel. Ces schémas sont des identités ‘’mes parents’’, ‘’ma maison’’, ‘’mon pays’’, etcetera.

Ce ‘’GPS cérébral’’ nous amène à une hypothèse très consistante pour comprendre psyché et les addictions : il existe des neurones pour dire ‘’où’’ mais il n’y en pas pour dire ‘’quand’’. Il n’y a pas de temps psychique (psychobiologique). Les impératifs corporels cycliques, s’accordent avec le mouvement des planètes. Le temps est une dimension extérieure, celui des saisons, des nuits et des jours imposés par la planète. Le temps est une dimension sociale, celui des rites et des célébrations. Le temps le plus certain est celui des séparations et des deuils.

 

Conscience et vigilance,

EMDR et ‘’Mouvement des yeux’’ mobilisent l’attention. La discussion est ouverte sur ce qui peut apparenter ces exercices à de l’hypnose ou à la sophrologie. Les Anglo-Saxons parlent ‘’d’états de conscience altérée’’, traduit en français par ‘’modification des états de conscience’’. Dans le contexte où nous nous inscrivons, la conscience est inaltérable, c’est la vigilance qui se modifie en passant par le rêve, le sommeil profond et l’état éveillé. L’état éveillé est dépendant des sens et des niveaux de vigilance. Le rêve est indépendant des sens, il est une fenêtre plus ou moins ouverte et biaisée sur la conscience. La conscience est constante.

Le travail que nous proposons évoque un corps sensible. Il y a trois mille ans, des sages ont formulé des réponses à ces mêmes questions sur le fonctionnement du corps, des sens et de la conscience. Fruits d’une longue expérience, ils ont aussi organisé la transmission de cette expérience et de ce savoir en évoquant un corps subtil. Le yoga est une expertise du mouvement (y compris des yeux) et de la contemplation (compréhension) de l’instant. Ce corps subtil est composé de matière, d’énergie, d’action, de perception, de bonheur et de conscience. La matière et l’énergie sont la nourriture, l’air et la lumière. Le mental est lié aux organes d’action (le fait social). L’intelligence est liée aux organes de perceptions, il s’agit de l’intelligence de la nature, (la personne est une fonction, l’intelligence ne lui appartient pas). Le bonheur préexiste, il est dans l’instant. L’égo nait du désir de s’accaparer le bonheur, il met le bonheur dans l’objet (ou dans la personne). La conscience est constante[12].

Le produit (la personne ou l’objet) est un reflet du bonheur, il ne contient pas le bonheur. Avant de devenir une addiction, le premier mouvement vers le produit (ou le comportement) est une expansion (que l’on peut aussi appeler libération) de la personne. Il s’agit de la personne, dans le sens de personnalité, comme accumulation de strates, à différentier de l’individu, synonyme d’être. Le produit et le comportement modifient des perceptions et les formes de la vigilance, l’addiction, quand elle arrive, se développe sur des failles et souvent une multitude de failles.  L’addiction est un traumatisme, en arrière-plan existe multitudes de traumatismes, enfouis dans les couches de la vigilance (des mémoires). La demande de soin est un acte de résilience, aussi mal formulé soit-il.

Schémas,

Nos schémas cognitifs ne doivent rien au hasard, ils sont gravés par notre histoire, histoire personnelle et sociale, individuelle et collective. Dans le soin entrent en jeu l’histoire du patient autant que l’histoire du médecin, de la médecine et des traitements. Il devient clair que l’addiction est une tentative d’évasion, que le désir de soigner est une tentative de normalisation. Dans cette galerie de plans (de schémas),  en bougeant les fonctions sensorielles et l’attention on met le patient et le thérapeute entre un même projecteur et un même écran pour envisager des solutions (ce n’est évidemment pas le même film qui se déroule, mais on va pouvoir parler de ce qu’on voit).

Le temps est un schéma, des schémas dictés par le mouvement des planètes et ceux de la société. L’addiction est un défi au temps, au temps du vide. Manger, boire, fumer, shooter, ‘’tue’’ le temps, un temps. La nourriture, le liquide, la fumée, l’héroïne ou la cocaïne sont présents dans la bouche, dans le nez, les voies respiratoires, les veines, un temps très brefs. Les effets des produits n’ont pas de temps, la nourriture disparaît, l’alcool rebondit quelques minutes, la cigarette quelques secondes, l’héroïne une petite heure. Le temps des inconvénients du ressac des effets est un autre temps à fuir.

Parmi les schémas, ces expériences gravées dans les cartes de géographie de nos GPS, le passage de la vie intra utérine à la vie aérienne occupe une grande place. Le bain placentaire, doux, chaud, nutritif, fondateur, disponible à volonté sera toujours présent dans nos repères. La naissance est d’abord une énorme pression, puis une dépression,  et enfin un immense sevrage (qui va durer toute la vie). Le craving et l’absorption sans mesure sont des retours dans le ventre maternel. La première respiration, la première cigarette (du jour), le premier joint, le premier snif, le premier shoot, sont des expériences similaires.

Les addictions s’inscrivent dans des schémas. Le buveur raconte qu’il a consommé, rechuté, en absorbant en même temps satisfaction et culpabilité. Pour faire quelques pas vers la conscience, l’exercice consiste à revenir sur l’image, au moment de la décision, au moment d’avant, aux images associées, celles de l’enfance, de la présence de l’alcool, de la place banale ou agressive de cet alcool, images et sensations de que cet alcool a enlevé, masqué ou apporté. Les schémas des perceptions corporelles, des affects qui se manifestent et circulent dans le corps.

Conclusions,

Dans les années 70, Ronald Laing[13] expliquait que la médecine était fondée sur l’étude du cadavre et que le médecin concevait le patient à travers ce schéma. Jean Klein recommandait au médecine d’être ‘’connaisseur de la santé’’. Ces remarques nous ont poussés à fonder une clinique vivante. La façon dont sont envisagées aujourd’hui, les angoisses et les dépressions nous fait dire que les fondements des réponses médicales à la vie psychique se font à partir d’expériences sur la vie des rats de laboratoire (mise en forme par des agences de marketing). Les addictions sont des problématiques psychosociales qui requièrent de nouvelles positions thérapeutiques. Les problématiques et les ressources psychiques sont infiniment plus vastes que les nomenclatures des DSM.

La méditation est une pratique ancestrale que l’on doit envisager comme fondamentale du développement humain. On constate qu’il existe des interprétations très variées de cette position dans les civilisations, en particulier vers la prière (à la fois demande et attente), ou des formes de concentrations (‘’Je pense donc je suis’’). Il existe aussi des formes de transes qui modifient la perception de la conscience, celle de soufis, celle des chants, celle des chamans. La méditation est une ouverture aux perceptions et à l’attention, fondamentalement sans objet, orientée vers la thérapeutique, elle va prendre comme objet le soin et dessiner des objectifs. L’EMDR est une nouvelle donnée qui fait appel à des processus à la fois anatomiques, physiologiques et psychiques. C’est une thérapeutique qui démontre une efficacité majeure. Dans l’expérience que nous avons acquise, la notion de ‘’GPS cérébral’’ apporte une explication tangible à la fois aux problématiques des patients et aux chemins à proposer comme résolution.

Mis en perspectives, la méditation et le mouvement des yeux (MMY), révèlent la place des schémas cognitifs et corporels. Ces schémas sont des mémoires qui tiennent lieu de repères, de cadres et de frontières au connu (de l’individu). Les traumatismes se trouvent dans ce même espace psychologique. C’est un autre point de vue sur la psychologie qui apparaît, précis accessible et modulable. La physiologie des yeux contient beaucoup de schémas associés à l’ensemble de la corporalité, des schémas pour regarder et des schémas pour montrer. La consultation devient un travail sur ce regard et la capacité à le projeter (visualiser) autrement.

Bibliographie


[1] Shapiro F. Eye movement desensitization and reprocessing (EMDR): basic principles, protocols and procedures. 2nd ed. New York, NY: The Guilford Press; 2001.

[2] Shapiro F. The Role of Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR) Therapy in Medicine: Addressing the Psychological and Physical Symptoms Stemming from Adverse Life Experiences. Perm J. 2014 Winter; 18(1): 71–77.

[3] De Beaurepaire C. Haour F. La thérapie EMDR dans la prise en charge des auteurs de violence sexuelle sur des enfants: intérêt et questions à propos d’un cas. La Lettre du Psychiatre, Vol. VII 2011 p173_6

[4] Shapiro F. éditeur, EMDR as an intégrative approach, Experts of diverses orientations explore the paradigm prism ; American Psychological Association 2002 Washington USA

[5] Methodological Aspects of Cognitive Rehabilitation with Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR) Zarghi A, Zali A, Tehranidost M. Basic and clinical Neuroscience August 2012

[6] Kapoula Z, Yang Q, Bonnet A, Bourtoire P, Sandretto J (2010) EMDR Effects on Pursuit Eye Movements. PLoS ONE 5(5): e10762. doi:10.1371/ journal.pone.0010762

[7] Lusseyran Jacques, ‘’Et la lumière fût’’, ‘’Ce que l’on voit sans les yeux’’

[8] Droit, Roger-Paul ‘’L’oubli de l’Inde’’ ‘’Boudha ou le culte du néant’’

[9] Jean Klein ; La joie sans objet, Mercure de France,1977, L’ultime réalité, Courrier du livre,1968.

[10] Moser May-Brit, Moser Edvard, O’Keefe John, cf www.brunojourne.fr

[11] Edward Tolman, travaux 1950 TOLMAN, E C (1949), « There is more than one kind of learning. », Psychological review (May 1949)

[12] Angot Michel. La Taittirya-Upanishad avec le commentaire de Shankara. Collège de France – Institut de Civilisation Indienne, 2007.

[13] Laing Ronald David, Les faits de la vie, 1970