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Introduction,
Comment Sigmund Freud aurait-il envisagé la psyché en 2018 ? La neurobiologie a apporté des réponses aux questions qu’il se posait il y a un siècle. En 2014, un Prix Nobel a révélé les neurones qui localisent, ils organisent les mémoires. Par ailleurs, l’exploration des fonctions cérébrales montrent que le temps neuronal est long, notre subjectivité n’y a pas accès, la vraie place de l’inconscient. Les révélations de la science bouleversent la conscience ! Nous pouvons distinguer « Où je suis » dans le contexte des mémoires acquises (« Je » est ici l’individu, mieux défini par « Moi ») et « Où je ne suis pas » (la réalité de « Je » libre de conditionnements et de références). Les addictions n’apparaissent plus comme des maladies mais comme des épisodes de l’histoire sociale de l’individu. Cette histoire est soignable.
Le lieu,
En 2014, le Prix Nobel de médecine a été attribué aux découvreurs de la physiologie des neurones qui disent « Où je suis ». John O’Keefe, May-Britt Moser, Edvard I. Moser, définissent ce GPS : « Le système de surveillance le plus avancé qui existe se trouve dans notre cerveau, nourri par l’évolution. Il stocke les cartes de tous les évènements de notre vie en haute définition. »
Les place-cells (neurones-lieu), des border-cells (cellules-frontières), des head-direction-cells (cellules-de-direction-de-la-tête), des grid-cells (cellules des coordonnées) assurent les processus de localisation en lien avec les mémoires acquises. Le système de navigation est situé dans le cortex entorhinal, dans les zones de centralisation et de coordination des structures cérébrales supérieures. May-Britt Moser explique que ces connaissances vont permettre de mieux comprendre et soigner les pathologies de la mémoire et certaines affections psychiatriques. Le travail présenté ici alerte des conséquences de cette découverte sur la compréhension et les approches des fonctions psychiques.
György Buzsáki et Edvard Moser, présentent la synthèse de leurs travaux. Dans le fil de l’évolution, les mécanismes de navigation neuronaux sont les fondations de l’organisation de la mémoire et des processus de planification. Les algorithmes neuronaux de navigation dans l’espace réel ou dans l’espace mental sont les mêmes. Les capacités d’anticiper, de visualiser et penser une action font appel à cette organisation neuronale, sans préjuger du niveau de conscience.
Les déplacements nécessitent deux niveaux d’informations, un repère l’espace, l’autre la navigation. Pour une action fluide, les liens doivent être fluides entre les perceptions et l’action. La capacité à mémoriser les situations et les repérer à partir d’un nombre réduit de perceptions est évidemment avantageuse, l’action utile sera plus rapide. Le bénéfice est d’accélérer les capacités à se nourrir et de ne pas devenir nourriture.
Les fondations de la localisation : les perceptions,
Le corps n’est pas inné, il est appris. Les fonctions neuronales qui localisent acquièrent des compétences pendant la vie intra-utérine. La croissance des neurones accompagne la différenciation des tissus, des organes et des membres. La conscience d’être, avec les fonctions vitales, n’attendent pas la naissance pour exister.
Le corps maternel et ses mouvements impriment des rythmes. La pesanteur fait connaître la verticale, l’espace est présent, comme dans une chambre, à travers la porte, la fenêtre ou le plancher. Les perceptions sont les fondations de la connaissance de l’espace, la matière première de la relation du corps avec ce qui l’entoure.
Dès que la bouche existe, elle boit et mange. Le ventre maternel est généreux, la nourriture, le mouvement et la chaleur sont toujours présents. La naissance est un dramatique sevrage. De nombreux comportements évoquent la mémoire d’un retour à la vie intra-utérine, les addictions en particulier.
Le temps neuronal,
L’électroencéphalographie a permis de voir les activités neuronales. L’évolution des technologies regarde la construction de la pensée et des fonctions cérébrales, la pensée apparaît après de nombreuses réactions synaptiques. Benjamin Libet dans les années 60, mesure la demi-seconde (0,5 s) nécessaire pour fabriquer une pensée ou une action simple. Les actions spontanées, non planifiées, sont précédées de ‘’Potentiels de Préparation’’ (Readiness Potentials, RP), qui apparaissent 550 millisecondes, avant la conscience d’agir. Ces travaux sont largement discutés et confirmés. En 2011, Stefan Bode montre la production des activités cérébrales : « A la poursuite de l’élaboration inconsciente des choix », l’élaboration des processus neuronaux apparaît 10 secondes avant la conscience de l’action. L’activité pré-motrice se forme dans le cortex frontal.
Pour aborder les addictions, l’étude de Schultze-Kraf est fondamentale : « Le point de non-retour pour interrompre une action ». Le potentiel de préparation, précède le mouvement, la question est de savoir, lorsque ce mouvement a démarré, s’il peut être interrompu et quand : un cinquième de seconde (200 ms) est nécessaire.
A la question « pensée » dans un moteur de recherche, les ordinateurs de la planète donnent 36 millions de réponses en 0.65 seconde. Le cerveau dans ce temps produit une pensée, se réjouit d’un verre d’eau, de l’air frais ou se repose. La pensée se développe avant de se connaître elle même ! Il s’agit de l’épaisseur de la subjectivité. La nature produit l’intelligence, capacités à douter, à méditer et choisir.
Discussion
Notre planète se déplace dans l’espace à grande vitesse et dans plusieurs directions, les psychés ont autant besoin de se situer que de se connaître libres. Les civilisations développent des cadres et des directions. Les produits ou les comportements psychotropes sont des fenêtres de liberté et peuvent devenir esclavages. Les addictions se situent entre l’excès de repères, mal perçus, mal gérés, et l’intuition de la plénitude de la liberté.
De la compétence du pisteur, expert des directions de la planète, à la boussole, le pendule de Foucaud, l’horloge atomique, le radar, au « Global Positioning System », nous sommes enfin arrivés à voir et comprendre le GPS neuronal.
Freud est né dans une époque couverte de nuages sombres, de terribles orages humains et planétaires ont suivi. Le concept d’inconscient est né dans ce contexte. Les sciences depuis un siècle apportent de la précision et de la communication, et si l’on est vigilant, de la transparence. A partir de là, il est nécessaire de redéfinir les concepts de psyché, d’esprit, de mental ou d’intelligence. L’inconscient est évidemment indéfini. Nos patients souhaitent être éclairés sur le fini et l’infini, l’infinie liberté entrevue et recherchée dans le produit ou le comportement psychoactif, le fini du produit, du comportement et des données biologiques.
Le vingtième siècle a produit des concepts sur ce qui localise ou pour localiser, Tolman, les cartes de géographies psychiques, Pavlov le reflexe conditionnel, Skinner les conditionnements « opérants », Edward Bernays, neveu de Freud, la joie de la consommation. L’industrie du médicament a recyclé une molécule amnésiante pour faire dormir et effacer l’anxiété, gommer des repères au lieu de les consolider.
Quelle est la réalité du temps du sevrage entre la vie naissante intra-utérine et la naissance à l’autonomie ? La quantité de repères à acquérir est indéfiniment grande. Aucun des ordinateurs qui nous fascinent n’ont ces possibilités d’acquisition et d’organisation des mémoires. La construction des repères demande une dizaine ou une vingtaine d’années, le cerveau est décidemment lent. Les failles se révèlent sur les fondations instables, un jour ou des décennies plus tard.
La naissance, en commençant d’une cellule vers un être de raison est une fascinante création. L’émotion est partagée, le nouveau-né n’est pas un « petit ». La naissance nait à la conscience et à l’intelligence. La naissance est violente, le sevrage du ventre maternel est violent, il rencontre l’absence de nourriture, l’absence de chaleur, l’absence de mouvement, il rencontre l’Autre. Toutes les addictions évoquent les mémoires des rencontres avec l’autre déficitaire, inquiétant, déconstruit.
Nous avons invité d’autres auteurs à cette discussion que nous pouvons seulement citer ici. Avant de conclure, souvenons-nous d’André Malraux, le « 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Le concept d’esprit permet de concevoir ce qui est localisé, définissable et ce qui n’est pas localisé et infini. L’esprit recouvre la définition de la Conscience dans les philosophies primordiales, composé d’intelligence (la sensibilité) de mental l’action et de joie.
Le mental, la volonté, est proactif, il agit dans le sens de la préservation des mémoires et des identités. La mémoire d’un plaisir met en marche les fonctions de localisation des objets de l’addiction. L’addiction est synonyme d’anticipation. Anticipation des effets, des comportements, de l’action, l’image du bonheur alimente toutes les étapes. Le bonheur n’est pas dans l’image, pas davantage dans une bouteille ou dans la fumée d’une cigarette.
Conclusions
Le GPS neuronal éclaire la matière première de ce qui nous permet de nous situer, nous contraint ou nous libère : la mémoire. Il ne peut plus être question d’inconscient mais de mémoires présentes ou occultées et de mémoires paradoxalement sélectives. La thérapeutique est un travail d’observation et d’organisation, autant que de projections d’autres schémas. Observer les conditionnements pour reconnaître les capacités à choisir, la réalité de la liberté.
Guérir, c’est d’abord protéger, le soin se trouve davantage dans l’attention (care) que dans le traitement (cure). Le soin écoute, observe, les situations, les repères, les méandres des histoires. Les directions primordiales retrouvent la conscience de la pesanteur, le haut, le bas, la perception du mouvement de la planète indique l’Est du soleil levant, l’Ouest du couchant, le temps et les rythmes biologiques. Psyché est toujours bruyante, sujet de dialogues et de soins.